La drépanocytose : « L’arme la plus puissante pour lutter contre cette maladie, c’est le test »

19 janvier 2024

Selon la Fondation Pierre Fabre, la prévalence de la drépanocytose varie de 4 à 25% au Mali. Elle demeure une maladie méconnue par bon nombre de Maliens. Elle constitue de ce fait un véritable problème de santé publique dans le pays. En plus des crises, de la fatigue, des infections et autres complications, les drépanocytaires doivent également subir le poids psychologique de cette maladie qui pèse sur leur vie au quotidien.

La drépanocytose est causée par une mutation dans le gène de l'hémoglobine qui est responsable du transport de l'oxygène dans le corps.

La drépanocytose est causée par une mutation dans le gène de l'hémoglobine qui est responsable du transport de l'oxygène dans le corps.

Malgré les efforts des autorités sanitaires pour sensibiliser la population et améliorer la prise en charge de la drépanocytose, la maladie demeure méconnue et mal comprise par de nombreux Maliens dont beaucoup ne sont pas prêts à se faire dépister. Aussi, l'accès aux soins et aux traitements reste-t-il limité dans certaines régions du pays, en particulier dans les zones rurales.

Faire le test électrophorèse avant le mariage

D’après Mamoutou Konaté, psychologue au Centre de Recherche et de Lutte contre la Drépanocytose : « la drépanocytose est causée par l’incompatibilité des deux parents. Avant le mariage, les gens doivent faire le test électrophorèse. Ce test sert à détecter les anomalies de forme et de concentration de l’hémoglobine, la protéine des globules rouges qui sert au transport de l’oxygène. C’est le résultat de ce dernier qui peut révéler que vous êtes compatibles pour faire des enfants non drépanocytaires. Se marier sans faire ce test, c’est courir le risque d’avoir des enfants drépanocytaires. Dans le couple, il est conseillé que l’un des deux soit AA ou que les deux personnes soient AA pour que les enfants ne soient pas drépanocytaires. À travers l’analyse des phénotypes, il ressort que les personnes du groupe AA, AC et AS ne sont pas drépanocytaires et ceux du groupe SC, SS, SB ou SB+ sont drépanocytaires. Ainsi, si une personne est AA, elle peut se marier avec tous les autres. Cependant, si elle est d’un des autres groupes, elle doit se marier avec une personne AA pour ne pas avoir d’enfants drépanocytaires ».

Beaucoup d’efforts restent à faire pour plus de sensibilisation et de vulgarisation. Si certains connaissent mal cette maladie, d’autres la connaissent et la côtoient dans leur famille. C’est le cas de Mme Safia Bawada : « Je connais la drépanocytose parce que j'ai 2 sœurs aînées qui sont SS, ainsi que mon petit frère. Je suis AS ainsi qu’un autre de mes frères. Lorsque ce dernier a voulu épouser une cousine, notre papa s'est catégoriquement opposé, il lui a dit de faire le dépistage et l’électrophorèse, sinon ils n’auront pas sa bénédiction. Ce qui fut fait et heureusement, elle est AA. Ils se sont mariés. En ce moment, j’étais en couple avec un cousin, et les parents n’en savaient rien. En voyant tout ce qui s’est passé avec mon grand frère, j’ai préféré rompre. Aussi, pour notre papa, son inquiétude était surtout pour les unions entre les membres de la même famille. J'ai donc pensé que je pourrais me marier avec quelqu’un qui n’est pas de la famille, comme si la maladie se trouvait chez nous uniquement ».

« L’arme la plus puissante pour lutter contre cette maladie, c’est le test »

La drépanocytose est causée par une mutation dans le gène de l'hémoglobine qui est responsable du transport de l'oxygène dans le corps.
Mamoutou Konaté psychologue au Centre de Recherche et de Lutte contre la drépanocytose

Dans la société, beaucoup de rumeurs et d’idées reçues circulent sur la drépanocytose. Des questions relatives à l’espérance de vie reviennent souvent. D’après Mamoutou Konaté « la drépanocytose est une maladie incurable qui n’a pas de vaccin pour la prévenir. Il n’y a donc pas de guérison définitive, le traitement est à vie. Mais, une fois que la prise en charge est respectée, la personne peut vivre avec, toute sa vie. Il y a juste certaines activités physiques qu'elle ne pourra pas faire. Il y a trop de fausses rumeurs autour de la longévité d’une personne drépanocytaire. Certains vont jusqu’à donner un âge limite de vie. Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’avant, la maladie n’était pas détectée à temps, et la prise en charge était tardive également. C’est ce qui explique le taux de létalité de cette maladie à l’époque. De nos jours, la maladie est prise en charge chez l’enfant dès ses six mois. Il peut ainsi faire toute sa vie avec la maladie sous traitement. Il faut juste bien faire son suivi. L’arme la plus puissante pour lutter contre cette maladie, c’est le test. Cela permettra de réduire considérablement l’évolution de cette maladie ».

L’impact psychosocial de la drépanocytose sur les malades

« Sur le plan social, les drépanocytaires sont stigmatisés dans notre pays. Une personne drépanocytaire ne peut pas se marier avec n’importe qui. Elle ne peut pas faire certains travaux physiques, et vu la multiplicité des crises, c’est financièrement pesant. Certains drépanocytaires sont rejetés dans la société. Il y a des femmes drépanocytaires qui sont même surnommées les femmes à pharmacie. Ainsi, trouver un partenaire devient très difficile pour elle », explique le psychologue Mamoutou Konaté. Cette même théorie est soutenue par Safia Bawada qui affirme que « Cette maladie, en plus d’être très douloureuse, il y a également l’aspect financier. Beaucoup de parents n’arrivent pas à supporter le coût des produits pour soulager leurs enfants ».

Souffrir d’une maladie chronique est très difficile et peut affecter toute une vie, notamment sur le plan professionnel. « Un employé drépanocytaire a fréquemment des crises et pourrait s’absenter souvent au travail. Beaucoup ont perdu leur travail à cause de leurs nombreuses absences. Psychologiquement, le drépanocytaire doit vivre avec le fait que la crise peut venir à tout moment. Tellement la crise est douloureuse, certains malades tombent dans la dépression. Pour anticiper la crise, ils s’adonnent à l’automédication. À la longue, cela pourrait créer une addiction, qui est encore très compliquée en termes de prise en charge », a expliqué Mamoutou Konaté psychologue au Centre de Recherche et de Lutte contre la drépanocytose.

Pour une meilleure prise en charge, il est essentiel de poursuivre les efforts pour améliorer la prévention. Malgré le travail effectué par les autorités, beaucoup reste à faire, notamment l’accompagnement en psychothérapie.

Bintou DIABATÉ