Interdiction de la chicha au Mali : « C’était choquant de voir des mineures de l’âge de ma fille fumer jusqu’à ce qu’elles devenaient invisibles dans la fumée »

17 mars 2023

Après un ultimatum de 6 mois, l’interdiction de la chicha sur toute l’étendue du territoire du Mali est entrée en vigueur le 15 février 2023. A l’expiration de ce délai, l’Office Central des Stupéfiants (OCS) a effectué une descente musclée dans plusieurs ‘’coins chauds’’ du pays pour vérifier l’effectivité de l’arrêté interministériel d’interdiction de l’importation, la distribution, la vente et l’usage de la chicha ou tout autre appareil similaire.

Appareils saisis lors des contrôles. Images: Office Central des Stupéfiants/Mali
Appareils saisis lors des contrôles. Images: Office Central des Stupéfiants/Mali

Certains jeunes maliens et la chicha, c’était le bel amour. Très prisé, ce produit également appelé ‘’narguilé’’ (en Persan : une langue indo-européenne) était des vrais délices pour bon nombre d’adolescents. Mais depuis le 15 février 2023, le cordon est coupé. L’Office Central des Stupéfiants (OCS) a tapé du poing sur la table après les 6 mois de délai de grâce accordé aux importateurs et marchands pour écouler leurs produits. Cette structure chargée de l’application de la mesure d’interdiction a procédé à une vaste opération d’interpellation et de confiscation d’appareils dès la fin de l’ultimatum dans les chichas clubs, les boites de nuit et les salons de coiffure.

Alors que la mesure gouvernementale vise à lutter contre une « toxicomanie banalisée », l’OCS soutient que l’usage de la chicha donne l’opportunité aux amateurs de dissimuler la consommation des drogues, dont le cannabis et des médicaments détournés de leur usage. Les jeunes y voient un moyen de déguiser des stupéfiants pour pouvoir les consommer sans être inquiétés.

La mesure ne fait pas l’unanimité. Elle est en premier lieu rejetée par les importateurs et marchands. Ceux-ci dénoncent une mesure unilatérale et une chasse aux sorcières. Mahamadou Diawara défend que la chicha n’est autre que le tabac tout comme la cigarette. « Pourquoi ne pas interdire la cigarette aussi ? », s’est interrogé le président des distributeurs qui se sont réunis au sein d’une association pour plaider leur cause.

En revanche, l’arrêté interministériel a été accueilli avec joie par de nombreux Maliens. « Cette décision du gouvernement est à applaudir. Les chichas clubs devenaient de plus en plus des lieux de débauche. Des jeunes, surtout des filles en étaient très accros à tel point que certaines y passaient le clair de leur temps à se pervertir. C’était vraiment choquant de voir des mineures, de l’âge de ma fille, fumer en pleine journée jusqu’à ce qu’elles devenaient invisibles dans la fumée dégagée de leur bouche », raconte tristement Mamadou Kanté, un père de famille.

Images: Office Central des Stupéfiants/ Mali
Images: Office Central des Stupéfiants/ Mali

L’autre face de la médaille, c’est le vide laissé par la mesure d’interdiction. Plusieurs jeunes affirment avoir été privés de leur emploi. « J’étais serveur dans un restaurant où la chicha était très consommée. En groupe, les clients venaient fréquemment fêter leur anniversaire ou autres réjouissances autour de la chicha. Ils pouvaient apporter plus de 300 000 F CFA les jours ordinaires et plus que ça pendant les week-ends. Avec cette mesure d’interdiction, mon employeur a été fortement secoué et il a été contraint de réduire son effectif. Ce qui fait qu’aujourd’hui je me suis retrouvé au chômage », a fait savoir Abdoulaye Sissoko. Désormais désœuvré, il fustige la mesure gouvernementale et s’alarme pour l’avenir de cette nouvelle vague de chômeurs.

D’après les spécialistes de la santé, une séance de 45 minutes à 1h de chicha équivaut à 40 cigarettes fumées soit 2 paquets entiers. Le consommateur est exposé aux métaux lourds, aux substances toxiques irritantes et cancérigènes, aux goudrons, aux particules fines car la chicha génère, à en croire les mêmes spécialistes, une importante quantité de monoxyde de carbone, gaz inodore mais très toxique qui diminue les capacités respiratoires. « Une consommation régulière peut entrainer sur le long terme des maladies cardio-vasculaires et des cancers de gorge, de poumons, etc. », indique Dr Bourama Kéïta, pneumologue.

Appareils saisis lors des contrôles par OSC. Images: Office Central des Stupéfiants/Mali
Appareils saisis lors des contrôles par OSC. Images: Office Central des Stupéfiants/Mali

La consommation de ce produit devenait de plus en plus inquiétante au regard du nombre de jeunes maliens, surtout des élèves, déjà accros à ce produit nocif.  D’après une étude conduite en 2022 par le service de pneumologie de l’Hôpital du Point G au Mali, sur un échantillon de 3 000 lycéens, 71% de ces élèves consommaient la chicha et beaucoup présentaient des symptômes respiratoires.

L’Office Central des Stupéfiant a décidé de faire de cette mesure d’interdiction son cheval de bataille et a promis de sévir dans le cadre de la nécessité de préserver la santé de la population.

Comme mesures dissuasives, l’arrêté interministériel prévoit des peines d’emprisonnement allant de 1 à 10 jours et des amendes de 300 à 18 000 francs CFA pour la production, l’importation, la commercialisation, la détention et l’usage de la chicha.

Alassane Cissouma